
Focus sur la journée de carence : un défi pour la fonction publique
Un décret, une date, un chiffre : la fonction publique s’est vue imposer, depuis 2018, une retenue d’un jour de salaire lors du premier arrêt maladie. Cette journée de carence, rétablie pour les agents publics, bouleverse la gestion des absences et questionne l’équilibre entre prévention de l’absentéisme et reconnaissance de la fragilité humaine. Dans le privé, la règle diffère, avec trois jours non indemnisés, souvent atténués par des accords collectifs. Le secteur public, de son côté, doit composer avec un système à la fois rigide et exposé aux débats sociaux et politiques.À compter du 1er mars 2025, une réforme prévoit de renforcer le dispositif, notamment en cas d’arrêts maladie successifs rapprochés, afin de limiter les contournements constatés dans la gestion des absences courtes.
Plan de l'article
La journée de carence dans la fonction publique : de quoi parle-t-on ?
Depuis le 1er janvier 2018, la fonction publique se doit d’appliquer une journée de carence lors du premier arrêt maladie d’un agent. Ce principe, énoncé dans la loi du 30 décembre 2017 puis consolidé par une circulaire quelques semaines après, impose au fonctionnaire la perte d’une journée de traitement indiciaire, de primes et d’indemnités au tout début de l’absence. Quelques éléments échappent encore à cette règle : le supplément familial de traitement (SFT), l’indemnité de résidence et la nouvelle bonification indiciaire (NBI) ne sont pas concernés par la retenue.
Tout fonctionnaire, titulaire ou stagiaire, ainsi que les contractuels de droit public ayant plus de quatre mois d’ancienneté sont concernés. Pour les autres agents de droit privé, assistants maternels ou familiaux, la mesure ne s’applique tout simplement pas.
En cas de plusieurs arrêts succédant à une même maladie, s’il ne s’écoule pas plus de 48 heures entre la reprise et la rechute, une seule journée de carence sera décomptée. De leur côté, certains congés restent à l’abri de la retenue : arrêt maternité, adoption, paternité, maladie professionnelle, accident de service ou affection de longue durée (ALD). La période de crise liée au Covid-19, jusqu’à la fin 2023, a également suspendu ce dispositif pour les absences liées au virus.
Pour clarifier ce champ d’application, voici à qui s’adresse cette mesure et qui en est écarté :
- Soumis à : fonctionnaires, agents publics, contractuels avec l’ancienneté requise
- Non concernés : agents de droit privé, assistants maternels et familiaux
- Mesure entérinée : par une circulaire en 2018, source de discussions récurrentes dans la sphère publique
Ainsi, la journée de carence impacte directement le traitement brut et la plupart des primes les plus courantes, mais ne touche pas le SFT. Chaque année, ce point donne lieu à de vifs échanges lors du débat budgétaire, car il cristallise les tensions entre gestion des absences et sentiment de justice parmi les agents.
Quels écarts entre public et privé face à l’arrêt maladie ?
Dans la fonction publique, la journée de carence tombe dès le tout premier arrêt maladie. On pourrait croire que la règle s’aligne sur celle du privé. La ressemblance s’arrête là. Une différence majeure existe : dans le secteur privé, ce sont trois jours qui ne sont pas indemnisés, à la charge du salarié, sauf intervention de conventions collectives ou d’accords d’entreprise. Côté public, après la première journée, le traitement complet est rétabli dès le lendemain.
L’idée de fond consiste à limiter l’absentéisme, une thématique suivie à la loupe par plusieurs organismes publics. Pourtant, des effets de bord surgissent. Beaucoup d’agents, pour éviter la perte de salaire, hésitent à s’arrêter, même malades. Ce « présentéisme » peut entraîner une propagation des maladies, un affaiblissement individuel et, à terme, une baisse de l’efficacité collective. Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas à la sphère publique. Dans le privé aussi, nombre de salariés choisissent de venir malgré un état de santé dégradé, fragilisant la dynamique d’équipe et la qualité du service.
Le privé bénéficie souvent d’ajustements via les accords collectifs, qui permettent d’adoucir les trois jours de carence. Pour les agents de la fonction publique, le premier jour d’absence est systématiquement retenu, sauf cas d’exclusion prévus par la réglementation, notamment en rapport avec des accidents professionnels ou des maladies reconnues comme telles.
Ce décalage nourrit une impression d’injustice persistante. Les syndicats soulignent que, sur le terrain, les réalités des absences divergent largement entre les deux secteurs, que ce soit sur la durée des arrêts ou sur les modalités de reprise.
Réforme 2025 : ce qui va changer pour les agents publics
L’année 2025 s’annonce comme un tournant pour la gestion de la journée de carence dans la fonction publique. Plusieurs textes récents ont déjà modifié certains contours du dispositif, mais la réforme en discussion va plus loin.
Le principe reste le même : un seul jour de traitement indiciaire est suspendu lors du premier arrêt maladie. Cependant, les modalités de calcul de cette retenue évolueront. À compter du printemps prochain, le champ de la carence s’élargit à l’ensemble du traitement indiciaire ainsi qu’aux primes principales et indemnités, tout en laissant de côté le supplément familial de traitement et l’indemnité de résidence.
Par ailleurs, les situations exclues demeurent inchangées : aucune retenue en cas d’arrêt lié à un accident de service, une maladie professionnelle, un congé maternité, paternité, adoption, ou une affection de longue durée. Deux arrêts rapprochés pour une même pathologie ne généreront pas deux retenues, si la coupure entre les deux n’excède pas 48 heures.
Les organisations syndicales pointent du doigt un dispositif vécu comme punitif, dont l’efficacité pour freiner l’absentéisme n’a jamais été prouvée. De l’autre côté, le gouvernement défend un cadre destiné à rationaliser les dépenses publiques et à mettre davantage de cohérence entre les différentes fonctions publiques et le secteur privé.
Anticiper les conséquences sur la gestion des absences et le quotidien des agents
L’uniformisation de la journée de carence bouleverse les habitudes professionnelles des agents publics. Désormais, chaque premier arrêt maladie déclenche une retenue instantanée sur le traitement indiciaire. Des exceptions subsistent et concernent certains arrêts : congés longue maladie (CLM), longue durée (CLD), congés pour maternité, paternité, adoption, accident de service, maladie professionnelle ou affection de longue durée. Leur protection, c’est la volonté d’apporter une réponse adaptée pour les situations les plus sensibles.
Pour les gestionnaires RH, suivre les absences devient plus technique que jamais. Il leur faut surveiller l’enchaînement des arrêts, chronométrer la période de 48 heures entre deux absences, analyser la nature de l’arrêt et vérifier chaque pièce versée au dossier. La moindre erreur d’appréciation ouvre la porte à des réclamations, voire à des ajustements rétroactifs parfois complexes.
Dans les services, la pression se fait sentir. Alors que le point d’indice reste gelé, que la garantie individuelle de pouvoir d’achat (GIPA) se fait rare et que la charge de travail augmente, la retenue d’une journée pousse certains agents à repousser leur arrêt maladie. Résultat : une santé en berne, des contagions évitables et un niveau de service public qui s’altère insidieusement.
Pour y voir clair, ci-dessous les principales situations entre application de la carence et dérogations :
- Congé maladie ordinaire : application de la journée de carence
- CLM, CLD, maternité, paternité, adoption, ALD, accident de service, maladie professionnelle : pas de carence
- Deux arrêts sur la même affection espacés de moins de 48h : seule la première absence entraîne la retenue
Présentée comme un outil pour renforcer la responsabilité, cette mesure vient heurter la cohésion au sein des équipes. Les agents doivent composer avec une incertitude nouvelle sur leurs revenus en cas de maladie, alors que les contraintes administratives et la pression du quotidien se resserrent. Entre surveillance accrue des absences et nécessité de préserver la santé collective, la fonction publique marche désormais sur un fil. Demain, ce sera peut-être le quotidien de chaque agent qui fera basculer le dispositif vers une adaptation ou une contestation généralisée.